¬ Réponse à Evry Schatzman

Mais, comme il pourrait le dire lui-même au nom de la raison pure et dure, ni les titres, ni la sagesse apparente, encore moins la sympathie, ne mettent à l’abri des erreurs passionnelles et des pires de toutes : les passions rationalisées.

E. Schatzman ne tient pas seulement le flambeau de la connaissance des étoiles. A ses publications, de haute compétence, il a cru bon d’ajouter articulets et causeries où le grand homme n’a plus rien à nous dire de raisonnable, de subtils mécanismes de compensation intervenant pour donner à son esprit ordinairement créateur, nuancé, critique et douteur, le simplisme d’un anti-astrologisme primaire.

Ce n’est pas à l’auteur de Origine et évolution des mondes,Astrophysique générale, Structure de l’univers, Science et société que nous répondons, mais au polémiste, auteur de A propos de l’astrologie (n° 335 des Cahiers Rationalistes) et porte-parole d’une tradition cartésiano-athéiste, répandant ses récriminations et ses lumières contre les religions, magies, philosophies irrationnelles, tous fruits méprisables de l’obscurantisme, du bas commerce et de noirs desseins politiques.

« N’oublions jamais, aurait dit Paul Couderc, que l’irrationalisme contemporain a servi de tremplin aux frénésies nationales-sociales.» De même que certains « confrères » astrologues taxent de marxisme-léninisme les écoles astrologiques gênantes pour leur conservatisme magico-symboliste, les rationalistes ont trouvé l’astuce – un peu éculée – de brandir le fascisme pour écarter le bon peuple de l’ensemble des croyances ou des philosophies non alignées sur la pensée physico-mathématique dont l’Union Rationaliste serait l’égérie, universelle. Bref, l’astrologie c’est Hitler et Mussolini, et l’Union Rationaliste, c’est Jeanne d’Arc ?

L’anti-astrologisme n’a jamais été une science, au sens où l’on prétend définir une science. Son expression est chargée d’affectivité perverse, aussi aveuglément irrationnelle que la mentalité animiste qui fait l’objet de ses assauts hystériques.

Quels chiffres, quelles méthodes, quelles démarches intellectuelles peuvent se prévaloir d’objectivité scientifique lorsqu’ils conduisent à des manipulations d’information et des accusations grotesques ? Curieuse science, curieuse raison qui n’ont, pour conclusions objectives, que des calomnies, des anathèmes, des excommunications. Le Pape Jean-Paul 1er gagnerait, pour la légitimité scientifique de ses bulles éventuelles, à s’inspirer des méthodes de l’Union Rationaliste.

L’à propos de E. Schatzman n’est qu’une faible illustration de cette nouvelle méthodologie de l’ostracisme. Il se termine sur une exhortation qui aurait pu, aussi bien, servir d’introduction. Il n’y a pas d’hypothèse dans le discours anti-astrologique et, comme une scie musicale bien rodée « la romance finit comme elle commence » :

« […] mais l’astrologie reste immuable au milieu de ce grand mouvement. N’est-ce pas là la preuve qu’elle ne s’occupe pas de la réalité du monde physique, mais transporte, imperturbables, les mythes des babyloniens ? Seule une croyance peut être aussi inaltéra-ble. Mais alors, messieurs et mesdames les astrologues, ne nous importunez pas de vos prétentions scientifiques, laissez au vestiaire le beau vocabulaire, les mots dont vous ignorez le sens. Vous gagnez votre vie par des moyens que notre morale condamne, mais ne cherchez pas à capturer la confiance, n’exploitez pas la crédulité publique au nom de la science. »

Cette fausse conclusion, d’une incroyable ignorance quant à l’immuabilité de l’astrologie, a toutes les caractéristiques d’un diktat du savoir en chaire. Le véritable terrain de l’anti-astrologie n’est pas celui de la connaissance mais de la lutte pour le pouvoir et le maintien des avantages acquis.

On ne peut pas comprendre autrement l’interdiction du « beau voca- bulaire » (une perle d’objectivité !), l’exclusion de quiconque n’offre pas des garanties d’appartenance, de soumission inconditionnelle aux statuts du corps officiel du savoir. De même qu’il n’y a que l’Eglise pour décider de l’authenticité d’un miracle, de son émanation divine ou diabolique, il n’y a que la science instituée pour décider du vrai et du faux, ainsi que des méthodes, du langage, des publications et des titres dont il faut user pour prétendre à la vérité. Il y a tellement de concurrence !

Dans tous les cas de marginalité, on récupère et on blanchit la biographie si le franc-tireur a contribué malgré son irrationalité à l’édifice du « pouvoir par le savoir ».

Les astrologues-astronomes, comme J. Kepler, sont fréquemment conduits, par leurs biographes, à renier sur leur lit de mort l’irrationnel qui a inspiré leurs découvertes durant toute leur vie. D’ordinaire un lit de mort ouvre le cœur aux croyances magiques. Mais les rationalistes unifiés n’ont pas peur des revenants, encore moins des scrupules. Probablement parce que le phénomène de conscience ne relève pas des critères qu’il faut remplir pour entrer dans la connaissance scientifique.

En effet, la conscience morale n’est pas un phénomène exprimable quantitativement, et qui peut être répété à volonté en laboratoire sous des conditions identiques de pression atmosphérique, d’humidité. Ce n’est pas, non plus, un phénomène qui peut être exprimé de façon cohérente en termes quantitatifs, physico-chimiques, quantiques, probabilistes, et autres.

Il n’est guère communicable, il peut se produire avec ou sans témoin, il relève de la discontinuité, de l’aléatoire, voire de l’imprévu. La conscience morale n’étant pas scientifique, on comprend que les scientistes s’y réfèrent rarement et même, qu’à la limite, la logique scientifique permette une déshumanisation sans complexe, une technocratie agressive sous la bénédic-tion d’une objectivité conforme à toutes les normes d’un nouveau modèle d’amoralité.

Il y a plus grave en ce qui concerne les contradictions de nos contempteurs : la pensée, si rationnelle ou rationalisante soit-elle, peut produire des critères d’admissibilité à la connaissance scientifique sans relever elle-même de ces critères ! Sinon, toute raison et toute pensée serait spontanément scientifique. Ce n’est certes pas le cas.

Ainsi, M. Schatzman et l’Union Rationaliste soutiennent, avec l’aplomb que l’on sait, que l’on peut se fier à un instrument imparfait (à la fois rationnel-irrationnel, subjectif-objectif) pour poser les critères parfaits de la connaissance. Rien de tel qu’un aveugle pour témoigner de ce qu’il a vu, rien de mieux qu’un sourd pour parler de ce qu’il a entendu. En d’autres termes, pour les besoins d’une caste, les produits d’un instrument mouvant, en dynamique de perfectibilité, certes, mais constamment sujet à erreurs, sont présentés comme des entités indépendantes du sujet-connaissant, de l’homme, de son cerveau, de ses conditionnements anti-astrologiques, pour parler des plus virulents.

Les critères de la vérité scientifique ne sont pas des anges tombés d’un ciel extérieur à l’homme. Si on les juge sur les services rendus, ils paraissent fort bien liés aux besoins impérieux et irrationnels de dominer son prochain, de le mépriser, de l’asservir ou, s’il ne « marche pas », de le rejeter de son territoire.

La pensée scientifique s’est assurée de poser avant tout les critères de la continuité de son pouvoir en tant, que corps social institué, spécialiste de la connaissance mesurable. Le corps scientifique pense et agit comme n’importe quel parti politique, syndicat, corporation, groupe social, lobby, mafia ou monopole, soucieux de sa survie et de ses intérêts expansionnistes. Nos temps sont irrationnels mais ils sont assez informés, assez « cultivés » sauvagement, pour ne plus être dupes des tartuffes de la puissance. Et la «connaissance scientifique » est allée trop loin dans la collusion avec les forces destructrices, pour passer pour pure et sans tache dans le grand merdier nucléaire où est engluée l’humanité.

Voyez-moi ces innocents qui s’en prennent aux irrationnels, aux astrologues, aux voyantes, pour expliquer l’angoisse atomique qu’ils nous ont gentiment fabriquée en passant d’une équation à l’autre, après avoir posé les critères parfaits de l’irresponsabilité !

Rendez donc la Terre aux rêveurs et foutez donc le camp dans des laboratoires où vous pourrez étudier à satiété la molécule de l’auto-critique !

Plutôt que de signer des manifestes infantiles contre les astrologues et assimilés, il serait temps que les hommes de science tant soit peu sérieux élaborent une déontologie qui leur interdirait la sujétion rationalisée à n’importe quel pouvoir… Les remords après Hiroshima ne nous intéressent pas. Il faut même un sacré cynisme pour pleurer sur soi et sur les devoirs pénibles de la science après avoir contribué à un génocide.

L’anti-astrologie de M. Evry Schatzman ne découle d’aucune recherche sérieuse, d’aucun examen critique de la possibilité des influences célestes. Cet examen est politiquement inconcevable pour une corporation qui s’est investie d’une autorité de garde-barrière contre toute connaissance étrangère à la sienne. Au sein de ce corps social circulent d’autres vérités que celles que l’on assène aux astrologues.

Tandis que M. Evry Schatzman prend pour argument la faiblesse matérielle de l’influence planétaire en d’autres ouvrages savants on peut lire :

« […] tout, depuis la cellule jusqu’à l’organisme humain, est né et a vécu, au cours de l’évolution historique, précisément dans des champs extrêmement faibles… Plus un organisme est complexe, plus il est soumis à diverses excitations et plus il est sensible, y compris à un spectre plus large d’ondes électromagnétiques et à des valeurs de plus en plus faibles… » (Igor Adabachev, Les énigmes de l’Univers aujourd’hui).

Tandis que M. Schatzman se gausse d’un déterminisme « à éclipse, qui oublierait de temps à autre de se montrer » toute la science nous rebat les oreilles d’un nouveau principe d’indéterminisme et de vérités purement statistiques.

Dans son « à propos » digne du propagandisme des témoins de Jéhovah, M. Evry Schatzman oublie tout simplement de citer ses éminents confrères. M. René Zazzo, membre du comité de rédaction de Raison Présente ne doit pas être à l’index pourtant !

« D’une façon générale le rationalisme est cette conviction selon laquelle : 1) Toute réalité a ses raisons quand bien même elle apparaîtrait comme irrationnelle, comme déraisonnable (ses raisons, c’est-à-dire ses causalités, ses lois de production, ses conditions d’existence). 2) La raison humaine est capable en principe de saisir les raisons des choses. De toutes choses, biologiques, psychiques, sociales aussi bien que physiques. De toutes choses, même celles où intervient la durée d’une genèse ou la temporalité de l’histoire.

Bien sûr cette conviction, cet optimisme, peut paraître démentie par nos échecs, même s’il s’agit de la physique. Emile Meyerson, le célèbre épistémologue, constatait à propos des attributs contradictoires de la lumière, onde et corpuscule, ‘’que le réel ne se laisse pas ramener aux exigences de notre raison, que l’on se heurte à un irrationnel’’. Selon lui le réel est un réservoir d’irrationalité. Il en serait ainsi si l’on considérait la raison comme donnée une fois pour toutes, immuable.

Au regard du nouvel esprit scientifique, la raison se forme et se transforme dans ses luttes avec le réel. Elle ne légifère pas au nom d’un Esprit Souverain, elle n’est pas un cadre à priori de la pensée : mais une activité d’accommodation tout autant que d’assimilation par rapport aux résistances à vaincre, aux problèmes à résoudre. »

(René Zazzo, Raison Présente n° 46)

Entre la raison selon René Zazzo et la raison selon Evry Schatzman, laquelle choisir pour démythifier l’astrologie ? Question d’autant plus embarrassante qu’en démythifiant le rationalisme primaire, René Zazzo démythifie l’anti-astrologisme d’Evry Schatzman, au moins dans le principe…

Allons, M. Schatzman, l’astrologie ne se borne pas à opposer des mots à des mots. Ses 5 000 ans de réalité vivent encore, ils bougent, et comme dirait votre confrère, tôt ou tard il faudra bien vous en accommoder.

Gageons que ce jour-là l’Union Rationaliste aura fermé ses portes, en signe de deuil ou d’incompétence.

Jean-Pierre Nicola

Article publié par le magazine « Astrologique n°16 – 1976 », réédité en 2008 par le COMAC dans « Florilège astrologique ».

NOTE : Evry Schatzman, éminent astrophysicien, militant rationaliste, anti-astrologue engagé, né le 19.09.1920 O h (TU) Neuilly, est décédé le 25.04.2010 sous un transit Saturne/Soleil en opposition à Jupiter-Uranus célestes conjoints à O° Bélier. A sa naissance, Jupiter est opposé à Uranus et conjoint à Saturne.Recombinaison de trois cycles avec inversion des aspects majeurs : la conjonction natale Jupiter-Saturne est inversée en opposition, l’opposition natale Jupiter-Uranus est inversée en conjonction.